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Détail, Paysage, Nice, 2011                                                   ©Gilles Rey

Détail, Cadre de vie, Saint Nazaire, 2016                                                                             ©Gilles Rey

 

Pendant longtemps j’ai regardé l’aspect documentaire de mes photographies comme un effet co-latéral de mon travail; j’utilisais l’espace urbain pour observer sa mise en photographie; j’avais bien conscience de photographier à un endroit donné, mais avec l’arrière-pensée que j’aurais très bien pu m’arranger ailleurs…

J’ai éprouvé bien plus tard le besoin de retracer par moi-même une expérience documentaire; un ensemble de raisons m’avait tenu éloigné d’une telle approche, revenir sur ces raisons (au risque d’évoquer ce qu’elles pouvaient aussi avoir de réducteur) me permet de préciser quelques enjeux qui ont durablement traversé mon travail.

Photographie documentaire sous-entendait pour moi l’idée d’une image prédéfinie, au sens où on sait à peu près ce que l’on veut montrer et que ce sera bien montré comme il se doit.

Par ailleurs je me défiais d’une pratique qui fut longtemps courante (et qui n’a pas totalement disparue…) qui entendait expliquer didactiquement une photographie quitte à la réduire à une fonction illustrative; une approche quasi-mécaniste où le regard est borné par une lecture précisément documentaire, l’artiste devenant celui qui sait sublimer dans une image le message que le commentaire décrypte…

Une de mes toutes premières préoccupations de photographe fut donc de m’assurer que ce que je choisissais de photographier résiste à une réduction narrative, ainsi j’ai toujours évité l’irruption des anecdotes, des micro-évènements.

C’est dans le même ordre d’idée que j’ai privilégié de présenter un état moyen de la ville : en tournant mon regard vers des lieux ordinaires j’évitais l’emphase du sujet et je souhaitais ramener l’intérêt vers la part énigmatique et méditative de la transcription photographique. Montrer la part de banalité de la ville – en photographiant où il n’y aurait pas grand chose à voir – laisse le regard agir, solitaire face au potentiel photographique.

Au milieu des années 90, le fait de collecter et observer des photographies d’amateurs du siècle écoulé m’a sensibilisé à la profondeur documentaire que peut receler une photographie; au delà du charme compassé de la désuétude, je faisais l’expérience de fourmillements d’indices disséminés sur toute la surface de la photographie, restés transparents car évidents pendant des années, ils surgissaient devenus intrigants et exotiques par l’épreuve du temps. A la vue de ces images orphelines, je découvrais des photographies qui avaient perdu leur fonction première mais qui se recomposaient en permettant au regard de trouver de nouveaux centres d’intérêt.

Je me suis mis à travailler avec le fait que la photographie – comme toute technique d’enregistrement – capture sans discrimination, j’ai accepté sa part de trop à voir; j’ai préparé le fait que mes photographies puissent déborder leur intérêt immédiat. J’ai progressivement densifié la présence des objets urbains présents dans le cadre, je ne documente aucun d’entre eux mais j’enregistre plutôt l’empreinte de l’époque qu’ensemble ils marquent sur la ville; leur réunion, leur confrontation signent un date, jusque dans le fait que certains d’entre eux soient des pastiches (faux réverbères à bec de gaz, faux kiosques à journaux rétro, faux petits carreaux encastrés dans du double vitrage et maintenant que les poutres apparentes, le rustique, et les lotissements en style régional deviennent progressivement ringards voici, tout aussi tardivement, les fausses maisons modernes des années 20,  …du XXème siècle).

Tout fait date, jusqu’au mal être à son temps, jusqu’à la tentation de réduire la ville à un décor, un fantasme qui lui même évolue et parvient à produire sa propre histoire. L’établissement de ce qui fait date est un processus que la prise de vue amorce, et que la conservation de la photographie décantera.

 


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